Instagram, Facebook, YouTube, Snapchat, etc… les jeunes seraient ultra-connectés sur les réseaux sociaux. Mais comment les utilisent-ils et connaissent-ils les risques de ces outils de communication et de socialisation ? Nous avons rencontré des collégiens aux Enfants de la Goutte d’Or pour connaître un peu mieux leurs usages et confronter leur récit au diagnostic de spécialistes de la question.
« Ça fait 4 ans que j’utilise Facebook. Je suis les actualités de mes potes et les informations », raconte Azad, collégien de 14 ans. Comme beaucoup de ses camarades, il est inscrit depuis quelques mois sur une flopée de réseaux sociaux, dont l’incontournable Facebook. À 15 ans, Abdoulaye cumule les différents comptes avec un usage spécifique pour chacun d’eux. « Sur Facebook, je regarde les actus de mes potes, mais je ne poste rien dessus. Sur Twitter, je suis surtout les actus sportives. Sur Youtube, j’aime regarder les podcasts des Youtubeurs Cyprien, Norman, etc. Quand les vidéos me font rire, je les partage ». Soha, 13 ans, préfère Instagram au réseau de Mark Zuckerberg. « J’ai un compte depuis cet été : je regarde les photos de mes amis, on peut discuter, s’envoyer des images. Tout le monde préfère Instagram à Facebook, c’est moins pour les jeunes » [ndlr, selon les conditions de Facebook, on ne peut pas s’inscrire avant 13 ans]. À les écouter, ces ados fréquentant l’association Les Enfants de la Goutte D’Or semblent mener plusieurs vies numériques parallèles, comme beaucoup d’internautes plus âgés. Une question se pose : que cherchent-ils sur les réseaux sociaux ?
Le psychologue clinicien Dr Michel Hajji, était invité le 12 janvier dernier au colloque sur le thème "Santé des jeunes et numérique : quels usages et accompagnements ?", organisé par la Mairie de Paris et les Ateliers Santé Ville du 18e et du 19e. « Les internautes essayent de se procurer le plaisir de pouvoir avancer masqué derrière un avatar », explique le thérapeute en psychosomatique à Paris VII. « Mais aussi à bénéficier d’espaces comme brouillons de la réalité pour voir comment les autres vont réagir, à valoriser leurs expériences intimes en se racontant et se montrant, ainsi que se confronter à un monde dans lequel il est impossible de savoir ce qui est vrai et ce qui est faux ».
« Les jeunes aiment les réseaux sociaux parce que c’est une mode, clame Soha. Au collège, le but c’est d’avoir le plus d’abonnés et de photos. Flipagram c’est la nouvelle mode ». Ils y trouvent aussi un réseau qu’ils peuvent difficilement compter dans la réalité pour des jeunes de leur âge. Certains avancent un nombre entre 200 et 500 "amis" ou "followers" (voire un millier pour un d’entre eux), ce qui est énorme. Mais tous assurent qu’ils connaissent la plupart de ces contacts dans la vraie vie, « les autres seulement de vue parce qu’ils sont du quartier », selon Oussama. Ils disent ne pas accepter les inconnus : « Pas envie d’avoir des problèmes », lâche Soha.
Vouloir créer des relations sociales virtuelles et se raconter à coup de photos, de selfies ou de commentaires, tant de motivations qui jouent sur la construction de l’identité de chacun. « Je poste des selfies plutôt sur Snapchat ou Vine », confie par exemple Dado, 14 ans. Cette image qu’ils donnent à voir sur les réseaux sociaux vient compléter le processus d’identification apporté par son entourage familial et amical dans la réalité.
Pour le Dr Hajji, les réseaux sociaux n’ont pas uniquement des aspects négatifs. « Internet va proposer des réponses aux questions que le jeune ne posera pas à ses parents ». Nordine Djabouabdallah, animateur à l’EPN Goutte d’Ordinateur, citant une enquête de Danah Boyd de Google Research sur l’usage des réseaux sociaux, estime que certains des réseaux sociaux comme Instagram « suscitent l’affection, la reconnaissance et sont un moyen d’expression et de création ». Certains, comme Oussama, utilisent les réseaux sociaux pour suivre les informations, même si « le flux d’actualité qui défile sans arrêt, permet au jeune de mémoriser comment il a pu accéder à l’info, mais pas l’information en elle-même ». Au final, il faudrait faire comme Azad qui, pour s’informer, ne se limite pas à Facebook : « Je lis aussi de temps en temps le journal Métro, j’ai l’appli du Parisien et je regarde un peu la télévision aussi ». « En fait, l’outil n’est pas forcément problématique, mais plutôt l’usage qui en est fait », synthétise Michel Hajji.
Si ce spécialiste ne veut pas accabler les réseaux sociaux de tous les torts, il existe cependant des risques réels comme la surenchère à laquelle se livrent les jeunes dans des défis (cf. le phénomène de la "nek-nomination" en 2014) ou les rencontres dangereuses. Les jeunes peuvent également endosser le rôle de l’agresseur avec moins de freins que dans la vraie. Alice Lanquette, animatrice de prévention à l’ANPAA 75, estime que « les réseaux sociaux participent à la libéralisation de la parole et de la rumeur ». « Les jeunes ne se rendent pas compte de l’impact de leurs mots qu’ils pensent effaçables » ajoute le Dr Hajji. La preuve avec Azad : « Dans des groupes de discussion, ça peut partir en cacahuète. Ce n’est pas comme en classe, comme dans la vie réelle, où on se taperait directement dessus. Du coup on a l’impression d’avoir plus de liberté de dire des choses sans craindre de s’en prendre une en retour ». Parmi les jeunes des Enfants de la Goutte D’Or, beaucoup ont déjà été confronté à ce genre de situation. « Je suis déjà tombé sur des gens en train de s’insulter, mais moi je ne regarde pas ça, ce n’est pas mon problème », raconte Abdoulaye.
Les réseaux sociaux ont changé les habitudes sociales des ados, à la Goutte d’Or comme ailleurs. Une activité chronophage qui scotche leurs yeux et leurs doigts sur leur smartphone, même si à l’école les téléphones sont proscrits. D’ailleurs, des interventions de prévention sont menées en milieu scolaire par des structures comme l’ANPAA 75. La prudence est donc de mise, mais comme le dit à Soha : « Comment on ferait, sans les réseaux sociaux ? Bonne question. ».