Aux Enfants de la Goutte d’Or, les cours de Taekwondo font désormais partie du quotidien. Si cela n’a pas toujours été le cas, l’arrivée de Maha, jeune athlète tunisienne qui a participé aux Jeux Olympiques de Sydney, a créé l’élan. Antoine Darnal, de l’association, raconte comment ce sport est arrivé dans le quartier de la Goutte d’Or.
Gichin Funakoshi
Poursuivant le sillon qu’avaient tracé les initiateurs de l’association, née en 1978, Lydie Quentin (directrice des Enfants de la Goutte D’Or), vingt ans après, lançait un club de Judo, bien que, comme elle s’amuse à le dire « le sport n’est pas trop mon truc… ». Consciente cependant du fait que l’épanouissement des jeunes du quartier passe aussi par le développement d’aptitudes physiques, elle se mit à la recherche d’un professeur de judo, diversifiant ainsi les activités sportives de l’association.
Petit à petit l’idée fait son chemin, les enfants, les parents… et la municipalité (car il faut bien une salle) se laissent gagner par la volonté et la ténacité de cette jeune directrice. « J’ai mis en place cette activité en me disant que c’était un sport vraiment très utile, en appui à ce que l’on faisait déjà ici pour aider les jeunes à se canaliser, à se concentrer…il y a là toute une série de comportements qui peuvent être travaillés à travers les Arts martiaux.. », raconte Lydie.
Quelques années plus tard, le jeune professeur de Judo, pour des raisons professionnelles, doit s’en aller vers d’autres cieux. Mais notre directrice, tenace et de plus en plus convaincue qu’il y avait une piste à creuser dans les Arts martiaux, découvre une jeune stagiaire à la recherche d’une association où elle pourrait compléter sa formation de Taekwondo.
C’est ainsi qu’en l’an 2000 naissait le premier club de Taekwondo de l’association, qui prenait place dans le gymnase du quartier. Depuis 2009, Maha, jeune tunisienne, maintes fois médaillée, championne de haut niveau, fait partager sa passion, le Taekwondo, non seulement à nos jeunes de la Goutte d’Or mais aussi aux moins jeunes et notamment à un groupe de jeunes femmes et de mères de famille, dans un atelier de Body Taekwondo.
« Comme athlète de haut niveau, tout en continuant mes études (STAPS), j’ai cherché une association où je pouvais transmettre, faire partager toute l’expérience que j’avais acquise. J’ai entendu parler des Enfants de la Goutte D’Or, je suis allée sur le net, j’ai envoyé un CV, une lettre de motivation et voilà », explique-t-elle.
D’où vous vient cette passion pour cette discipline ?
« A 12 ans, j’avais du mal à me défendre… J’ai alors cherché un sport de combat, un sport avec contact, un vrai contact. Dans le karaté, il y a contact, mais c’est un contact contrôlé, on maîtrise sa force, on ne porte pas les coups… La boxe ? Ce n’était pas pour moi, je vois ce sport comme une discipline masculine, d’ailleurs ma famille ne voulait pas que j’en fasse. », poursuit Maha.
Mais alors vous ne craignez pas que les jeunes que vous formez fassent du Taekwondo un peu partout dans le quartier ?
« Non c’est le contraire. Comme dans tous les Arts martiaux, plus on fait des combats plus on est zen. Toute l’énergie que l’on a, toute cette rage de vaincre, on la met là dans la salle, sur le tatami. J’ai une anecdote à vous raconter : un des petits a voulu montrer à sa sœur jusqu’où il pouvait lever la jambe et ce faisant il l’a touché au visage (sans gravité), mais ce n’était pas une embrouille, pas du tout... »
« On peut se défouler sur le plastron (matériel de protection avec lequel on travaille). Vous savez on porte les coups mais on est très bien protégé. Il y a toutes les protections nécessaires : les protège-dents, les protège-tibias, les gants, les casques… Je suis allée dans le club, moi, au début c’était juste pour me défendre, c’est tout. Et puis peu à peu je suis devenue une athlète de haut niveau dans l’équipe nationale de Tunisie. En fait, j’ai l’impression que, quand on rentre dans cette discipline, quand on y goûte, on ne peut plus en sortir. Il y a cette dépense d’énergie que l’on ne peut pas trouver dans d’autres sports, que je n’ai pas trouvée ailleurs »
C’est une discipline devenue olympique en 2000 aux jeux de Sydney ! Maha a elle participé aux Jeux olympiques d’Athènes, en 2004. « J’ai terminé à la 5ème place dans ma catégorie.. », dit-elle.
Cet art martial dont le nom signifie littéralement "la voie" DO "du pied" TAE" et du poing" KWON est intimement lié à l’histoire même de la Corée. Il s’agit de se servir de ces parties du corps pour se défendre. Souvent regardé comme un sport de combat de Self-Défense le Taekwondo est aussi une discipline qui développe souplesse, équilibre, force, mais aussi concentration, harmonie, et vise l’épanouissement personnel, le dépassement de soi, la recherche de la parfaite harmonie du développement du corps et de l’esprit.
« C’est une discipline très stricte sur le plan physique et comportemental. Comme beaucoup d’Arts martiaux, l’adulte, l’enfant, est mis dans un cadre stricte : salut du tatami, salut du prof, salut de l’adversaire, acceptation de l’échec lors d’un combat » poursuit Maha.
Les 5 préceptes de la discipline dessinent bien cette harmonie entre les autres et soi-même :
Autant de préceptes qui sont développés dans toutes les activités d’EGDO. Comment le club est il organisé ?
« Avec les 6/8 ans c’est plutôt du Taekwondo ludique, beaucoup sous forme de jeu, mais pas du Taekwondo-contact. Les petits, même s’ils font des combats, ne doivent pas se toucher. C’est ce qu’on appelle les combats imaginaires. A 9 /10 ans on commence vraiment l’apprentissage de la discipline. Les différents coups de pieds sur cible, sur plastron…Eux, n’ont pas le droit de toucher la tête, ils ont des casques, ils portent des pitaines aux pieds pour amortir les coups, pour ne pas se blesser »., explique Maha.
« Avec les cadets commencent les vrais coups de pieds sans les pitaines en mousse, mais avec des pitaines électroniques munies de capteurs, ce qui permet aux arbitres de calculer les points. Ils peuvent toucher la tête. Avec les juniors, séniors, vétérans tout est permis ; on suit les règles imposées par la Fédération Française de Taekwondo ».
Et vous avez aussi un atelier avec quelques jeunes femmes et des mamans d’EGDO ?
« Oui j’anime un atelier de Body Taekwondo avec des mamans, ce n’est pas du Taekwondo de combat, c’est plutôt du loisir ; dans une ambiance très conviviale, en musique, c’est un mélange de pas, de coups de poing et de coups de pieds. Cela permet aux mamans de libérer leur énergie, de se défouler », poursuit Maha.
Et c’est bien ce que nous confirme Isabelle, une maman de l’association, qui a deux filles inscrites au club : « Oui ce n’est pas un sport de combat mais il nous faut quand même une licence pour le pratiquer même si on ne fait pas de compétition. On est 5/6 mamans, ce n’est pas beaucoup, parfois cela manque d’émulation, il faudrait qu’on recrute », raconte Isabelle en rigolant.
« Mais c’est bien, ça permet aux mamans de prendre goût au sport. Moi déjà ça m’a remis le pied à l’étrier ! J’avoue que je ne prenais plus le temps d’en faire. Je nageais pourtant à une époque…Surtout que ça ne nous prend pas beaucoup de temps : 40 minutes deux fois par semaine . C’est très sympa, on est toutes des mamans prêtes à se dépenser. Il y a une bonne ambiance ! Et moi chaque fois que j’en ressors je suis toute rouge et toute trempée… la preuve que c’est efficace ! ».
Si le groupe de Body Taekwondo n’est pas mixte, dans les autres groupes ce n’est pas le cas. Les cours sont mixtes même au haut niveau, souligne Maha, sauf en compétition : « Il y a des combats entre femmes et par catégorie de poids et d’âge. C’est très règlementé » et les parents sont les premiers, après la séance d’essais, à pousser leurs enfants à s’inscrire.
Quel regard portez-vous sur votre travail à EGDO ?
« D’un côté il y a ce que j’ai appris et de l’autre ce que j’ai transmis. Tout est positif. J’ai pu transmettre à d’autres mon expérience tant sur le plan sportif que sur le plan intellectuel c’est-à-dire que j’ai pu faire partager tout ce que mes études m’ont fait découvrir (pédagogie et psychologie de l’enfant, sociologie, anatomie…). D’autre part, quand je vois mes athlètes « podiumés » : finale du championnat de France seniors à Lyon (2013), médaille d’argent et d’or pour les cadets au championnat de France ; trois fois 1ère place pour les minimes et les benjamins et cette année nous irons à l’Espoir Open 93. Ça c’est un vrai bonheur ! ».
« J’ai deux jeunes qui se préparent à passer leur ceinture noire, l’an dernier Hamadi à eu sa ceinture noire et maintenant il entraîne les petits… Je me dis que j’ai réussi. C’est une fierté tous ces podiums. Tous ces jeunes qui peuvent aller en compétition sans être K.O. Et puis, j’ai appris au sein de l’association tout ce qui est festif, intégrer le Taekwondo dans les différentes fêtes du quartier, dans la fête des Vendanges… J’ai appris à intégrer ma discipline dans les spectacles, dans une chorégraphie…oui, moi je ne connaissais pas cela avant, j’étais à fond dans mes combats…et c’est tout ».
L’élan est donné… Cette idée que l’on peut faire du sport et du sport de haut niveau à l’association (EGDO) est ancrée dans les mentalités de tout un chacun ; mais comme nous le soulignions au début de notre article, il s’agit également de convaincre aussi la municipalité et pourquoi pas certains sponsors car « le problème, pour les jeunes c’est que les moyens financiers de l’Association, ne sont hélas pas très conséquents. Pour honorer leur qualification nous devons assurer les déplacements, en train ou en minibus, les nuits dans des hôtels et cela a un prix » nous a raconté Maha d’un ton embarrassé…. « Mais nous pouvons compter sur l’opiniâtreté de notre directrice et la détermination de tous les bénévoles ».
Envisagez-vous, étant donné votre palmarès, d’aller vers d’autres cieux ?
« Non, pas du tout. J’ai terminé mes études je travaille aujourd’hui dans d’autres associations mais la Goutte d’Or me tient à cœur… je ne sais pas… », sourit Maha. « C’est un feeling…Je suis bien, que ce soit avec Lydie, avec les autres membres de l’association ou encore les licenciés. Cela fait 5 ans. Il y a donc un attachement aux athlètes…Les responsables me fournissent tout le matériel pour les compétitions et comme je l’ai dit je m’entends bien avec tout le monde, alors pourquoi m’en irais je ? En fait je suis contente de venir ici ».
« Il y a cette relation que j’ai construite…d’où je suis partie et là où je suis arrivée aujourd’hui...Il y a tout ce chemin ! Les enfants que j’ai pris à l’âge de 5 ans (ceinture blanche), aujourd’hui ils vont passer leur ceinture noire. Tous les ans ils sont « podiumés » : je ne peux pas les laisser ! Cela va me faire mal au cœur de les donner à un autre entraîneur. Je ne peux pas les rencontrer en compétition, je ne peux pas coacher leurs adversaires… Je ne peux pas coacher les adversaires de mes premiers élèves. Non ! Ça je ne peux pas »
Oui, l’élan est bien donné : déjà arrivent quelques jeunes prêts à seconder Maha, prêts à entraîner leurs jeunes frères et sœurs sur le tatami du gymnase de la Goutte d’Or et, qui sait ? Vers de nouveaux podiums.
Antoine DARNAL
Membre du CA d’EGDO