Un article extrait du numéro d’Avril du 18ème du « Mois »
Neuf mois d’études et d’entretiens auprès de la communauté africaine de la Goutte d’Or ont permis dépistage et informations sur la transmission du sida.
Installée à La Goutte d’Or, l’Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines (URACA) fait de la prévention du sida depuis plus de vingt ans. Elle a conduit jusqu’à fin 2013 une étude originale de neuf mois sur la réduction des risques sexuels liés au VIH au sein de la communauté africaine. Pour cela, elle a travaillé en partenariat avec l’Institut Renaudot, Centre de ressources en santé communautaire.
Au départ de la recherche, plusieurs hypothèses : l’idée que le manque d’informations pouvait être le problème principal expliquant la prévalence de la maladie, et celle de l’importance du tabou de la sexualité et du rejet des malades et de leurs familles. La méthodologie choisie impliquait la participation active des membres de la communauté, explique le directeur, Damien Rwegera. Un groupe de travail a donc été constitué, réunissant cinq femmes et cinq hommes, usagers de l’Unité, choisis par Aïssatou Gnabaly, responsable URACA de la prévention chez les femmes originaires d’Afrique, et Gaelle Paupe, consultante formatrice à l’Institut Renaudot. Travaillant en binômes femme-homme identifiables à leurs casquettes siglées, ces « pairs » se sont assuré le concours d’autres usagers, amis, voisins... avant d’enquêter, selon M. Rwegera, « dans les bars et les nombreux ateliers de couture » de la Goutte d’Or. Pour la plupart, les participants parlent « deux, trois, quatre langues et peuvent s’adresser à ces populations jusque sur les marchés ». Ils sont aussi intervenus près du métro Marcadet où un camion médicalisé permettait le dépistage. La prise en charge était immédiate en cas de séropositivité.
Un samedi sur deux, le groupe a travaillé sur les parcours de vie, les moments de vulnérabilité, aboutissant à un « Arbre à problèmes » permettant la construction d’hypothèses, de recherches et servant de recueil de données. Objectif : « briser les tabous sexuels, parler à tous, informer sur le risque, sur comment comprendre, accepter et vivre avec la maladie, informer sur les traitements, donner de bonnes informations sur l’hygiène et la qualité de vie et convaincre », martèle le directeur. Une fois ce travail fait, « on a trouvé qu’on manquait d’informations sur la communauté, la précarité jouant un rôle énorme dans la contamination : quelqu’un qui n’a pas où loger ni de quoi manger ne se préoccupe pas du sida ».
Concernant le tabou pesant sur la sexualité, cet anthropologue de formation nuance : « on ne peut pas l’expliquer aussi simplement ». Selon lui, « la sexualité n’est pas réellement taboue, mais un père ne peut pas parler de sexualité avec ses enfants. C’est indécent de parler de sexe en public. » Cependant, « quand deux femmes ou deux hommes du même âge sont ensemble, il peuvent parler de sexe. ». Mais il existe des espaces et des normes sociales très codifiés. Quand Aïssatou Gnabaly travaille la prévention avec les femmes, « on ne peut pas imaginer la liberté de parole qu’elle prend mais ceci se situe par tranches d’âges. Une jeune fille ne parle pas de sexualité avec une femme mariés », précise M. Rwegera.
Il souligne que « dès qu’on commence à parler risques sexuels, on doit entrer dans les détails, mais les codes doivent être respectés ». Est-ce que les population africaines sont prêtes à ça ? Le couple femme-homme allant vers ses interlocuteurs a facilité le travail d’enquête dont « l’objectif est d’être utilisé pour faire notre propre prévention, favoriser l’acceptation de le maladie par une information suffisante, éviter la stigmatisation et l’exclusion. »
Cette étude a permis d’acquérir de nouveaux savoirs sur le VIH et ses modes de transmission. Elle a développé l’estime de soi et un savoir-faire parmi les membres de l’équipe, ouvert de nouvelles pistes de réflexion pour débloquer les freins au dépistage. URACA et l’Institut Renaudot ont pu ainsi comprendre pourquoi certaines actions de prévention n’aboutissaient pas : les gens refusaient le dépistage « en raison d’une rumeur affirmant que ce sont les Blancs qui injectent le virus lors du test, pour gonfler leurs statistiques. »
Jacqueline Gamblin
Illustration : Séverine Bourguignon