Entrer dans les locaux de l’Arbre Bleu, c’est poser le pied dans un petit paradis des enfants. Il y a des tricycles, des toboggans, des grands tableaux pour dessiner... tout ce dont on a rêvé étant petit. Installées au fond de l’espace, entre cubes colorés et jeux d’éveil, Isabelle et Lydie, salariées de l’association, prennent le temps de nous expliquer la démarche de l’Arbre Bleu.
« C’est après une enquête qui a été effectuée chez les personnes qui habitaient le quartier à la fin des années 1980 que l’Arbre Bleu a été conçu et livré aux habitants pour répondre aux attentes qu’ils avaient formulées. C’étaient des professionnels de la petite enfance qui avaient déjà repéré ce besoin là. Ils se sont dit que que ce soit quelque chose qui soit une œuvre collective ils ont fait une enquête, « santé et communication » et de l’enquête est sorti ce besoin là que les enfants très vite en amont partagent des loisirs avec leurs parents.
Les personnes qui ont fondé l’association avaient vu que les enfants qui avaient des mamans qui ne travaillaient pas restaient avec la maman de 0 à 4 ans sans moyen de rencontrer d’autres enfants. Les gens restaient plutôt dans leurs appartements (« qui étaient insalubres » « et exigus ») On avait des mamans très enfermées avec leurs enfants pendant 4 ans.
Et donc après, quand les enfants arrivaient à l’école, ils passaient sans transition du domicile des parents à l’école, sans avoir eu un espace. Ca faisait comme si, et ça c’est une interprétation personnelle, le domicile des parents, pour les enfants d’origine étrangère, était le pays d’origine des parents. Ils partaient du pays d’origine vers la France, donc l’adaptation à l’école était très compliquée. C’était un changement très brutal et puis après, au bout de deux, trois ans les enfants étaient retrouvés dans la rue très tard, tous seuls, sans leurs parents. Parce qu’en amont, ils avaient pris l’habitude de faire des choses tous seuls. L’école c’est pas l’espace des parents, et entre l’espace des parents et l’école ils avaient élu la rue comme espace leur appartenant.
Les personnes qui les premières ont investi le lieu de l’Arbre Bleu habitaient de l’autre côté du boulevard et avaient déjà entendu parler de la Maison Verte de Françoise Dolto. Donc ils savaient pourquoi ils venaient ici.
Moi j’ai commencé en 1993, et je me rappelle que les parents du quartier qui venaient disaient « non, c’est trop beau ! ». Donc ils sont venus doucement. C’est à ma connaissance le seul lieu qui regroupe des gens de l’autre côté du boulevard et des gens de la Goutte d’Or, et c’est aussi le seul lieu où vous avez des gens de tous les continents et de toutes les couches sociales chaque après-midi.
Du fait de l’offre qui a été faite, du fait que c’est anonyme et sans inscription, ça favorise le mélange. Ca va des gens de la haute société jusqu’à la personne de la Goutte d’Or qui parle à peine français, qui ne travaille pas... et il y a un brassage qui favorise les échanges. Les parents se voient en tant que parents et ils échangent vraiment leurs expériences, se soutiennent parfois. Il n’y a pas ce côté où on juge la façon dont l’autre traite son enfant. Ceux qui en ont l’expérience encouragent les autres en disant "tu sais je suis passé par là". C’est ça qui est très chouette au niveau de l’Arbre Bleu. Il y a des gens qui se fréquentent depuis 20 ans, qui sont devenus amis... »
« L’idée de l’Arbre Bleu, initialement, c’est qu’on n’a pas besoin d’avoir de question pour venir. On y vient, par exemple, parce que le gosse joue tout seul malgré un grand appartement. Ou parce que les fratries sont étendues et le logement est exigu... Quand les parents viennent initialement on leur dit « à l’arbre bleu vos enfants peuvent rencontrer d’autres enfants, il y a des jouets aussi », l’idée c’est que l’enfant puisse jouer. C’est à partir du jeu qu’il va favoriser sa croissance intellectuelle et affective.
C’est vraiment l’idée de la socialisation, de sortir de la maison, de sortir de sa famille pour rencontrer d’autres personnes qui sont totalement différentes, qui sont semblables peut-être, d’échanger tout ça... Au niveau des professionnels l’après-midi c’est une équipe de 7 personnes. La majorité de l’équipe a une formation de psychologue avec une formation de psychanalyste pour certains. C’est d’écouter même les choses qui ne se disent pas et de réussir à trouver les mots pour que ce que la personne vit, qu’elle a honte de dire soit par éducation, soit par... favoriser cette mise en parole pour désamorcer ce qui risquait de gripper la relation.
Parfois, même souvent, il y a de grandes étapes où un enfant entre en opposition. Si le parent est socialiste l’enfant est UMP, à deux ans et demi (rires). Très souvent, à un certain âge, on le voit, on n’a pas besoin d’être formé, l’enfant dit « non, non, non » à tout. Ça, ça épuise énormément les parents notamment ceux d’origine étrangère qui n’ont pas connu ce genre de manifestation. Le "non" en Afrique, les enfants n’ont pas le temps de le mettre en mot parce que ça part vite. En Afrique on ne dit pas "non", sinon c’est... « paf ! » donc le gosse par rapport à ça il épuise différemment. Mais le "non" il n’est pas mis en mot, il est en acte. Ici, l’avantage, c’est qu’on rencontre des parents qui font non de la main et on rencontre des parents qui sont épuisés par le "non" de leur enfant. Et ils échangent. Ceux qui proviennent des mêmes origines, vivent dans les mêmes conditions vont essayer de soutenir l’autre, de dire « écoute, ça sert à rien de la frapper, je suis passé par là, j’ai essayé de frapper le mien, ça ne donne rien ». Après, chacun trouve sa formule personnelle pour ne pas se laisser entamer psychiquement par le « non ». On a beau aimer un enfant, il y a un moment où il pousse les adultes aux extrémités. Et l’idée c’est de ne pas rester seul avec ça. Les professionnels ne donnent pas de conseils mais le fait d’en discuter permet à la personne de découvrir qu’il s’est passé un événement, par exemple, qui n’a pas d’importance pour lui en tant qu’adulte mais que l’enfant a vu, et qu’il essaye d’amener les adultes à lui en parler.
Il y a toujours cette espèce d’empathie réciproque qui fait que ... même quand un parent donne une gifle à son enfant, jamais il n’est jugé par les autres. Les autres comprennent tout de suite, se disent « tiens, on voit que celui ci n’a pas l’habitude de fréquenter le lieu... » ça se fait très, très progressivement. On ne va pas dire à un parent « ça ça ne se fait pas ici ». On va plutôt séparer, on va se mettre en position de casque bleu et le parent comprendra. Le parent voit aussi de lui-même son enfant qui réagit à notre parole. Lui qui pensait que son enfant ne comprend rien, il voit qu’il répond en fait à une parole d’une personne qu’il ne connaît pas donc c’est vraiment tout un changement qui intervient. Mais de façon très douce. L’idée du professionnel c’est d’avoir toujours ce regard sur ce que l’adulte dit, et sur ce que l’enfant aussi émet comme signaux « lui avec son corps il est en train de dire quelque chose... soit il confirme vos dires, soit il les infirme, mais il a sa version à lui et on met tout ça en forme. » »