Si, à la Goutte d’Or, la coopération et le dialogue inter-associatifs ont toujours existé, en raison de l’implantation d’un tissu associatif à la fois dense et complémentaire, cette collaboration constante entre acteurs associatifs structurants a pris des formes diverses au fil du temps. À l’heure du Covid 19, l’inter-associatif s’est vu renforcé dans le quartier.
Ainsi, des années 1990 au début des années 2010, la Coordination Inter-Associative, dotée d’une charte, se réunissait régulièrement et s’inscrivait dans un projet de développement global du quartier, pour réfléchir, agir ensemble et constituer une force d’interpellation des pouvoirs publics. Depuis, bien que les associations n’aient jamais cessé de se concerter et d’agir ensemble sur le terrain et dans le cadre de projets communs, l’organisation régulière de réunions générales s’était arrêtée. C’est l’urgence de la crise sanitaire qui, en renforçant considérablement l’entraide et l’inter-associatif dans le quartier, a fait renaître la nécessité d’échanges plus réguliers entre les associations du quartier qui sont restées actives pendant le confinement.
En effet, si au début du confinement, chaque association s’est efforcée de s’organiser et de s’adapter à une nouvelle situation de travail des plus déstabilisantes, dès la fin du mois de mars, le centre social Accueil Goutte d’Or et la Salle Saint Bruno ont proposé à une vingtaine d’associations du quartier de s’accorder un temps commun de discussion et d’organisation. C’est ainsi que depuis le 6 avril, 5 visio-réunions se sont tenues pour échanger sur la situation du quartier et de ses habitants, croiser des pratiques, partager des ressources et identifier un certain nombre de préoccupations et questionnements.
Alors que certains peuvent y voir la renaissance de la Coordination Inter-Associative, nous en avons retrouvé les principes et objectifs formulés dans une Charte qui inspirera peut-être l’Inter-Asso 2020 :
C’est globalement autour de ces mêmes idées que l’initiative de nouvelles réunions pendant le confinement est née, favorisée par un contexte exceptionnel. Le souhait de tou.te.s était de pouvoir échanger sur les difficultés rencontrées et sur les pratiques et actions mises en place par chacun.e. Plus largement, les associations ont souhaité réfléchir ensemble, malgré l’urgence, à des actions qui pourraient être menées collectivement, d’une part autour de mutualisations, de communication commune, de campagnes de prévention, et d’autre part en terme d’expression d’une position politique collective.
Nous l’évoquions, malgré la fin de la Coordination Inter-Associative en tant que telle, les coopérations inter-associatives ont continué de vivre, d’exister, mais sous d’autres formes, d’une autre manière. Cependant, la perte de ce qui représentait une réelle instance de débat et d’interpellation des pouvoirs publics a tout de même été regrettable. Et les réunions inter-associatives qui se sont tenues pendant la crise ont recréé ces possibilités. En effet, les associations présentes ont eu l’occasion d’échanger à plusieurs reprises sur des problématiques très générales rencontrées à l’échelle du quartier et sur les difficultés identifiées au regard de la crise. Ont notamment pu être abordés :
Plus concrètement, au-delà des débats et échanges d’informations indispensables, ces réunions ont permis une coordination et une mutualisation effective. D’abord, l’organisation collective a pu être facilitée par la réalisation d’une commande commune de masques et gels hydro-alcooliques, par une première campagne de communication regroupant plusieurs appels aux dons (aussi bien alimentaires, vestimentaires, de produits d’hygiène ou de fournitures) et appels à bénévoles, et une seconde campagne de prévention cette fois, autour des mesures et gestes barrières à adopter partout, sans oublier le relais et la communication constante qui a pu se faire grâce à certains acteurs, dans l’idée que chacun.e prenne connaissance de ce qui se fait et puisse ainsi orienter correctement ses publics.
Dans un second temps, ces échanges ont également abouti à un positionnement politique collectif qui s’est d’abord matérialisé par la rédaction commune d’une interpellation des pouvoirs publics, dans une première version le 6 avril, puis, plus aboutie, le 17 avril, qui a donné lieu à un rendez-vous le 27 avril avec le maire du 18ème arrondissement et d’autres élus municipaux. Par ailleurs, une lettre collective a également été rédigée dans le but d’interpeller l’état sur la diminution des subventions de la compagnie Gaby Sourire dans un contexte où chaque acteur est indispensable à la préservation du lien social malmené pendant la période de confinement.
Ces réunions ont également permis d’identifier les besoins urgents du quartier qui pouvaient faire l’objet d’un soutien via le FPH – Fonds de Participation des Habitants. Ont ainsi été soutenues, de manière exceptionnelle, les distributions alimentaires de Solidarités Saint Bernard et de la Table Ouverte, l’acquisition pour distribution via les associations de produits d’hygiène et de masques réutilisables auprès de la Fabrique de la Goutte d’Or ainsi que la distribution de matériel pédagogique aux enfants, via la librairie-papeterie éphémère aux Enfants de la Goutte d’Or ou encore les distributions des Xérographes, également soutenus pour accueillir les Brigades de Solidarité Populaires.
Au regard de ce récit, les réunions inter-associatives qui ont eu lieu pendant le confinement et qui semblent vouloir se poursuivre, se sont révélées particulièrement utiles. Au-delà d’être un soutien matériel, organisationnel et communicationnel et un lieu d’échanges, elles ont également servi de soutien moral et politique aux associations présentes. Associations qui, pour la plupart, perçoivent ces temps de débat et de coordination d’un œil très positif. Nous avons effectivement eu la chance d’obtenir certains retours de ces dernières à l’occasion des entretiens (dé)confinés que nous avons réalisés.
« En dehors du travail en interne de l’association, on a pu aussi se retrouver dans l’inter-associatif : pouvoir échanger entre associations sur les problématiques, sur nos problématiques, la manière dont on vivait le confinement et cette crise sanitaire, mais aussi les besoins des publics, etc. Et ça je trouve que c’est très positif parce qu’on se rend compte – on s’est toujours rendu compte – mais on se rend compte d’autant plus dans ces périodes de crise que, tout seul, on ne peut pas avancer, on ne va pas très loin, et que c’est vraiment en étant en lien avec les partenaires qu’on arrive à trouver les solutions les plus adaptées aux soucis qu’on peut rencontrer, les uns ou les autres, et surtout que les publics rencontrent. Donc ça a été pour moi une preuve supplémentaire qu’il fallait absolument qu’on travaille en lien, à partir des situations qu’on pouvait rencontrer, de difficultés, pour pouvoir avancer, surmonter et trouver des pistes ensemble qui soient bénéfiques pour tout le monde. »
Lydie Quentin, directrice des Enfants de la Goutte D’Or (EGDO)
« C’était important de réunir les acteurs aussi, parce que je pense qu’on a besoin de réfléchir à ça aussi ensemble, et de travailler sur toutes ces coopérations et mutualisations, puisqu’en plus on travaille par projet : il y a eu aussi un intérêt de pérennisation du travail associatif et social. Donc c’est important de savoir quelles sont les limites des uns et des autres, qu’est-ce que qu’on peut faire ensemble, qu’est-ce qu’on ne peut pas faire… C’est important de savoir faire ça pour pouvoir couvrir un territoire sur les différents champs, pour réduire au plus les inégalités sur ce territoire-là. […] Je n’imagine même pas que ce soit autrement : quand je parle de la Goutte d’Or et que je présente les associations, c’est vraiment ce travail inter-associatif que je mets en avant, parce qu’il existe quoi qu’on en dise [...] C’est ça qu’on est capable de faire. »
Hélène Tavera du collectif 4c – Quartier libre
Si l’avenir de cet inter-associatif mobilisé et opérationnel pendant la crise reste à imaginer, des retours aussi positifs incitent à le pérenniser. Nous espérons très prochainement pouvoir aller à la rencontre de ses acteurs afin d’échanger avec eux sur les attentes qu’ils placent dans cette nouvelle forme de coordination inter-associative.
Associations ayant participé aux réunions :
Accueil Goutte d’Or (AGO), Salle Saint Bruno (SSB), L’arbre bleu, Collectif 4C – Quartier Libre, la Compagnie Gaby Sourire, Les Enfants de la Goutte D’Or (EGDO), Paris Goutte d’Or (PGO), La Table Ouverte, Solidarités Saint-Bernard, L’île aux langues (LIAL), Les Xérographes, L’Espace Jeunes Goutte d’Or (La Salle), Home Sweet Mômes, SOS Casamance, ADOS, l’APSAJ, le Jardin l’Univert (HALAGE), l’Arbre bleu, le Comité Actions Logement (CAL), Esprit d’Ébène, le Café Social Dejean (Ayyem Zamen), Accueil Laghouat, l’Assiette migrante, Esquisses, Ethnologues en herbe, Union des commerçants, EGO/Aurore.