Une conserverie familiale, voilà le dernier projet imaginé par l’équipe de Quartier Libre, en partenariat avec le Samu Social de Pantin et AGATE, sa plateforme d’accompagnement social des ménages hébergés dans les hôtels sociaux de Paris. Une première démonstration a eu lieu vendredi 4 février, et on y était.
Assise sur une chaise, sa béquille dans la main droite, Nagbé commence à piquer du nez. En même temps, la septuagénaire est dans les cuisines partagées de Quartier Libre depuis ce vendredi matin. Quelques heures plus tôt, c’est d’ailleurs elle qui donnait les instructions autour du plan de travail encerclé de petites mains joyeuses. Logique, elle est la patriarche du groupe, et surtout, la recette du jour - le poulet kédjénou - est un plat que l’on cuisine dans son pays de naissance : la Côte d’Ivoire. Mais cette fois-ci, il n’est pas destiné à être englouti dans la foulée, mais à finir dans des bocaux stérilisés qui pourront être conservés pendant près d’un an.
“C’est pas des poulets bicyclettes”
Pour mettre en place cette démonstration collective de mise en conserve, l’association 4C (Collectif, Café, Culture, Cuisine) a fait l’acquisition de “deux stérilisateurs électriques et de 24 bocaux de 1 litre” nous confiait Hélène Tavera quelques jours plus tôt, par téléphone. Co-fondatrice du tiers-lieu culinaire, c’est elle qui nous accueille pour cette démonstration culinaire. Il est alors 10h pétante et aucune participante n’est là. En revanche, l’équipe du Samu Social de Pantin, qui collabore régulièrement avec l’équipe de Quartier Libre, est au rendez-vous. “On va attendre que tout le monde arrive pour commencer, livre Hélène Tavera à l’équipe d’Emilie Keromnes, coordinatrice socio-culturelle au sein de la plateforme d’accompagnement social des ménages hébergés à l’hôtel à Paris (AGATE). Le but c’est vraiment qu’on fasse tout ensemble de A à Z”. Pourquoi ? Car c’est le mantra de Quartier Libre, mais aussi et surtout car la mise en conserve est un processus qui nécessite d’être vigilant et précautionneux afin d’éviter que des bactéries pathogènes se développent à l’intérieur des bocaux.
L’attente ne sera pas longue puisque les premières participantes arrivent au compte-gouttes aux alentours de 10h30. Elles sont au nombre de quatre et ne se connaissent ni d’Eve ni d’Adam. Ça ne va pas durer bien longtemps car après les explications d’usage, la stérilisation préalable des bocaux, et le visionnage d’une vidéo expliquant les différentes étapes de la dite stérilisation, tout ce petit monde enfile un tablier en wax. Pour réaliser le poulet kédjénou, il faut mixer des tomates, des oignons rouges et beaucoup d’ail, puis on ajoute du gingembre, des aubergines africaines, de la poudre de poivre, de féfé, et de kani, du laurier. Puis vient le tour de la vedette du plat du jour : la volaille. “C’est pas des poulets bicyclettes” balance Hélène, non pas en référence aux muscles surréalistes des cyclistes mais aux poulets élevés au Burkina-Faso. Dodu, le poulet se retrouve cuit à l’étouffé, sans ajout de matière grasse. Pendant ce temps-là, les participantes laissent de côté leur tablier et s’installent au dernier étage de Quartier Libre pour déjeuner ensemble. L’occasion de mieux se connaître et de continuer à tisser des liens.
Gâteau au chocolat et tajine kefta
Après avoir englouti un Paris-Brest confectionné par Eddy, le cuisinier de Quartier Libre, les participantes attendent que le poulet kédjénou termine sa sieste dans sa sauce. Après quoi, il faut immédiatement le transférer dans les bocaux, avant que ces derniers prennent place dans le stérilisateur électrique, pour 90 minutes. La simplicité du processus étonne les participantes, qui n’avaient jamais fait de mise en conserve avant ce vendredi. “Il faut que vous ayez des projets, que vous imaginiez des choses, explique Hélène à Majolie, une des participantes. L’idée c’est que vous soyez autonomes et que vous créiez un groupe afin de vous retrouver à Quartier Libre quand vous le souhaitez, pour faire des bocaux” Ça tombe bien, la présence l’après-midi d’Alexandre Poncet, conseiller numérique à La Goutte d’Ordinateur, a permis aux participantes et à l’équipe du Samu Social de Pantin de créer un groupe de discussion sur l’application cryptée Signal qui va leur permettre de se coordonner pour faire de la mise en conserve à Quartier Libre.
Alors que chacune des participantes essaye d’installer l’application sur son smartphone, Ketsya et Mado s’agitent encore en cuisine. Rien à voir avec le poulet kédjénou puisqu’elles préparent un gâteau au chocolat, puis un tajine kefta, pour le repas du soir de Mado. “Elles ne se connaissaient pas avant aujourd’hui, mais elles se sont bien trouvées, constate Hélène, toute sourire. Ça fait plaisir car c’est le but de ce projet de conserverie et plus largement celui de la cuisine partagée.” Mission remplie pour Quartier Libre et le Samu Social de Pantin, qui comptent bien reproduire cette démonstration pour faire vivre la première conserverie familiale de la Goutte d’Or.
Par Maxime Renaudet.