Écrit par Catherine Geoffroy
Dehors : nuit froide et pluie d’hiver. Ce mardi 22 janvier, le hall de FGO Barbara est bien rempli. Venu écouter la Chorale de la Goutte d’Or, le public est concentré, captivé, et vite enthousiasmé par le voyage musical dans le temps qui lui est proposé. On se transporte fin 19e début 20e siècle…
C’était un défi pour la cheffe de chœur Louise Marty : faire connaître au grand public les compositions de Saint-Saëns, Poulenc, Debussy ou César Franck, qu’elle aime particulièrement mais qui sont considérées comme ardues et rarement interprétées par des chorales amateures. Bien que toutes créées pratiquement à la même époque, les chansons interprétées ce soir offrent une grande variété de couleurs et d’ambiances.
Il y a de la légèreté dans les six courtes pièces de l’allemand Paul Hindemith composées sur des poèmes de Rilke traduits en français, célébrant la biche et le cygne, le verger, la fugacité du temps qui passe, les saisons. La gravité apparaît avec les chansons de Camille Saint-Saëns, pour qui la nature est plus belle « au sein des douleurs » (Les Fleurs et les arbres) et qui s’adresse à la nuit avec solennité : « Grand silence des antres noirs, vous charmez les âmes profondes » (Le Calme des nuits).
C’est dans un registre encore différent, celui du religieux, que retentit le célèbre Cantique de Jean Racine composé par Gabriel Fauré sur une prière traduite du latin par l’écrivain en 1688.
Autre tonalité encore : les Sept Chansons de Francis Poulenc font fulgurer la modernité des poètes du 20e siècle. Apollinaire, par exemple, qui campe parmi les anges du ciel un « Bel officier couleur de ciel » et un cuisinier plumant les oies (La Blanche neige). Ou encore Paul Eluard, dont le vers « Bonjour Tristesse », dans À peine défigurée, sera plus tard repris par Françoise Sagan comme titre de son roman culte.
Le concert se clôt avec Hiver, vous n’êtes qu’un vilain !, poème écrit au 15e siècle par Charles d’Orléans et mis en musique par Debussy en 1908. C’est combatif, ça claque et ça réchauffe ! Le public en redemande et la chorale le redonne en bis.
La Chorale de la Goutte d’Or fait partie de l’Atelier des Trois Tambours fondé par Louise et Christian Marty. Depuis sa création en 1992, l’Atelier propose des cours de musique pour tous les âges. Pas d’évaluations ni d’examens comme dans un conservatoire, mais la formation est rigoureuse et les enfants doivent notamment apprendre à lire les notes.
Très peu des choristes entendus ce soir sont d’anciens élèves de l’Atelier, puisque la chorale est ouverte en permanence à tout adulte motivé. On y entre sans audition ni obligation de savoir déchiffrer, mais Louise souligne que le répertoire est exigeant. Si l’on n’a jamais chanté ni pratiqué la musique, mieux vaut peut-être commencer par une chorale plus accessible.
Pour Louise, il est avant tout important de chanter dans une chorale près de chez soi, car si l’on ajoute à la difficulté de l’exercice musical de longs trajets et des problèmes de transports, on n’y arrive pas. Et en effet, tous·tes les choristes habitent le quartier..
Conséquence de cette implantation locale : la Chorale de la Goutte d’Or et l’Atelier des Trois Tambours forment comme une famille. On connaît les parents, les proches et les voisin·es des un·es et des autres, on les rencontre dans la rue, on échange avec elles·eux. Et quand on doit chercher des contacts, des budgets, des partenaires ou des lieux d’accueil pour pouvoir partir tous·tes ensemble à l’étranger, on les trouve grâce à ce réseau de relations.
Bénin, Crête, Californie, Brésil, Suisse, Tunisie… La chorale de la Goutte d’Or et l’atelier des Trois Tambours ont ainsi pu multiplier les voyages, que ce soit pour chanter, pour jouer, pour aider à monter des écoles de musique, pour y soutenir les enseignant·es.
Imaginez la difficulté : une vingtaine de choristes chantant a capella, à quelques mètres de vous, et non sur une scène lointaine devant une salle plongée dans le noir. On voit tout, on entend tout : chaque visage, chaque voix… Ajoutez qu’ils et elles interprètent des chansons polyphoniques aux nuances complexes, aux harmonies et modulations savantes.
Par sa justesse, sa précision et l’équilibre de ses voix, la chorale de la Goutte d’Or réussit ce pari. Jean-Christophe, qui y chante depuis quatre ans, salue l’énergie et le savoir-faire de Louise : « elle arrive à faire chanter des morceaux difficiles à des non musiciens et sait créer une incroyable homogénéité alors qu’on a tous des niveaux et des parcours très différents. » Tout cela nécessite deux heures de répétitions intenses chaque semaine, plus quelques week-ends au cours de l’année et du travail chez soi.
Entre les deux parties chantées de la soirée retentissent trois œuvres instrumentales interprétées par la classe de cuivres des Trois Tambours, dirigée par son professeur Patrick Marty. Six garçons : deux trompettes, un cor, un trombone, deux euphoniums… et une fille, aussi à l’euphonium !
Un très beau son émane de ces instruments pourtant difficiles à jouer. La Valse n°2 de Chostakovitch, qu’une publicité matraquée dans les années 1990 avait fini par rendre exaspérante, retrouve ici jeunesse et fraîcheur.
Ça n’allait pas de soi de proposer du classique dans le temple des musiques actuelles qu’est FGO Barbara. Et ça a marché ! Tout décloisonnement offre du renouveau, des découvertes. FGO est enthousiaste et Louise Marty formule le vœu qu’une telle expérience puisse se renouveler. En plus, le lieu est accueillant et convivial. Après le concert, on peut prendre un pot au bar, échanger, avant de repartir affronter le noir et la pluie froide, revigorés par la chanson de Debussy qu’on fredonne dans sa tête : Hiver, vous n’êtes qu’un vilain !