J’ai beaucoup lu sur la Shoah, Primo Levi, Charlotte Delbo, Annette Wieviorka, Saul Friedlander etc. Alors d’où vient ce trouble et même cette sidération après la lecture du livre de Bastien François « Retrouver Estelle Moufflarge ».
Pourquoi désormais, je m’attarde devant le 89 rue Caulaincourt, un petit immeuble haussmannien, étroit, jouxtant le charmant café « Au Rêve », dans cette rue si calme, si bourgeoise aujourd’hui, si arborée et, en ce printemps si douce, quand tous les marronniers sont en fleurs. C’est là, au 89, qu’Estelle Moufflarge a été arrêtée avec sa tante Rose, le 19 octobre 1943, c’est de là, qu’elles ont été envoyées à Drancy, puis séparées : Estelle voyage seule dans le convoi 61, la tante Rose sera déportée en décembre dans le convoi 63. Mais la direction est la même : Auschwitz.
Estelle Moufflarge © Mémorial de la Shoah/collection Serge Klarsfeld
Pourquoi est-ce que je m’attarde dans la rue Simart, qui part du Bd Barbès et que j’emprunte quasi quotidiennement pour rejoindre la rue Ordener ? Pourquoi est-ce que je cherche la trace au 33 de la rue, de la petite boucherie de Leib, l’oncle d’Estelle ? Pourquoi je regarde partout les échoppes tenues maintenant par des vendeurs de téléphone, de Wax, de plats vietnamiens à emporter, de vêtements streetwear ? Pourquoi est-ce que je cherche les traces des anciens, les trois tailleurs, les trois fourreurs, le réparateur de cycle, les dix brocanteurs, les bouchers, l’épicier, le poissonnier, le marchand de chaussures, toutes ces minuscules boutiques tenues par tous ces immigrés polonais, russes ou roumains fuyant les pogroms et réfugiés là, dans la rue Simart, la rue Eugène Sue, la rue Clignancourt. Combien ont survécu ? Pas le petit boucher du 33 rue Simart en tous cas. L’oncle Leib a été arrêté dans sa boucherie puis déporté et assassiné à Auschwitz le 28 septembre 1942.
Tout à coup, des lieux si familiers, me sont devenus presque inquiétants, théâtres sombres d’une mise à mort, celle d’une adolescente de 15 ans...
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