Proposition de loi, mobilisation de la part des associations et discussions entamées avec l’Assurance Retraite : la lutte contre la dématérialisation des services publics continue. Lancé à l’initiative de Ayyem Zamen, le Collectif Retraite IDF regroupe 8 associations en Ile de France. Il met en lumière le non-recours au droit et les défaillances du système public liées à la numérisation des services internet. Les conséquences se font davantage sentir lorsque l’on est déjà en situation de précarité. C’est le cas pour les personnes accompagnées par le centre social Accueil Goutte d’Or.
François (Accueil Goutte d’Or) et Danièle Obono lors de la rencontre publique du 8 avril au Square Léon
Pas facile d’avoir un rendez-vous avec un agent de la CNAV (Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse). François, 60 ans et travailleur social pour l’association Accueil Goutte d’Or (AGO), en a fait l’expérience pour lui-même. Le 25 avril, il se connecte sur son compte de l’Assurance Retraite pour prendre rendez-vous. Il découvre, sans surprise, qu’aucun créneau n’est disponible avant le 26 juin. Il va devoir attendre avant de pouvoir discuter avec un conseiller de son plan de retraite. Heureusement que sa retraite n’est pas prévue pour demain !
François, qui gère des permanences sociales à AGO, connaît beaucoup de personnes qui ont urgemment besoin de parler à des conseillers de la CNAV sans pouvoir obtenir de rendez-vous. Certain.e.s ne touchent pas la retraite qui leur est due à cause d’un blocage dans leur dossier, d’autres ont des dossiers compliqués dont on ne peut pas discuter au téléphone… L’association accueille des habitant.e.s du quartier qui ont besoin d’être aidé.e.s dans leurs démarches administratives, notamment pour les démarches auprès de la CNAV pour les retraites. Ils aident des personnes souvent isolées, qui ne savent pas toujours lire, ou qui n’ont pas accès à Internet et ne sont pas armées pour affronter les galères de l’administration française seules.
Il évoque le cas de Cheik, qui n’a pas encore touché sa retraite alors qu’il y a le droit depuis bientôt deux ans. Ou encore un autre homme du quartier, pour qui il a appelé l’Assurance Retraite à plusieurs reprises pour obtenir un rendez-vous, tout ça pour que ce rendez-vous soit annulé sans le concerter. Entre les numéros de sécurité sociale introuvables pour les retraités aux carrières hachées et les soucis d’homonymie, nombreux sont ceux qui ont besoin d’aide. Inondé par les demandes, Accueil Goutte d’Or a d’ailleurs dû limiter l’accès à la permanence. Aujourd’hui elle n’est ouverte qu’aux habitant.e.s du 18ème.
La seule façon d’avancer sur les dossiers compliqués, c’est de prendre un rendez-vous en présentiel. Mais ils sont rares. Pour se faire entendre, AGO s’est associé avec le Collectif Retraites IDF. Ce dernier regroupe 8 associations : Ayyem Zamen, GRDR, UNRPA, Chinois de France – Français de Chine, Fédération des centres sociaux et socioculturels de Paris, Centre social Le Picoulet, Centre social Accueil Goutte d’Or et El Kawa des seigneurs. Depuis octobre 2022, ils mènent un combat pour remettre de l’humanité dans le système administratif de la CNAV. Leur constat est clair : comme tout se fait par Internet, la dématérialisation ainsi que la fermeture des guichets de la CNAV est un problème majeur qui précarise les retraité.e.s, notamment celles et ceux qui sont déjà en situation de vulnérabilité.
Ils demandent qu’il soit plus facile de parler à des technicien.ne.s, sans devoir se battre pendant des semaines, des mois, voire des années, et qu’une attention particulière soit portée aux dossiers urgents ou particulièrement complexes.
“Quand quelqu’un vient me voir, qu’il a besoin d’aide parce qu’il n’a pas touché sa retraite depuis 2 ans, aujourd’hui, qu’est-ce que je peux faire ? Je peux appeler le 3960 et avoir quelqu’un qui me dit ‘Là, j’ai pas accès à son dossier, donc je ne peux pas aller plus loin’. Au 3960, ils sont capables de dire s’ils ont bien tous les courriers, mais pour entrer dans les méandres d’un dossier c’est compliqué parce qu’ils n’ont pas le droit d’y aller. Ils sont obligés de faire remonter ça à un technicien qu’on a pas en direct.” explique François.
Depuis sa création l’année dernière, le mouvement lancé à l’initiative du Collectif Retraite IDF prend de l’ampleur. Une proposition de loi, portée par la député Danièle Obono, a été déposée le 4 avril 2023 à ce sujet, et le Collectif est bien parti pour atteindre son objectif de 10 000 signataires pour la pétition en soutien au mouvement. Concrètement, ils demandent l’augmentation du nombre de créneaux pour prendre rendez-vous, la réouverture d’agences de proximité avec des conseiller.e.s capables de gérer toutes les situations, des mesures concrètes pour lutter contre le non-recours aux droits, et une enveloppe budgétaire pour les associations comme celles du Collectif Retraite IDF. Après un manifeste, des demandes récurrentes auprès du directeur général de la CNAV Renaud Villard et une mobilisation sur les réseaux sociaux, le Collectif a obtenu un rendez-vous avec des représentant.e.s de la CNAV Ile-de-France. Mais pour le moment, les discussions sont compliquées. D’après François, “Ils sont droits dans leurs bottes. Ils disent que tout va bien, et que 80% des usagers du service internet sont satisfaits. Mais ceux qui répondent au sondage, ce sont les usagers d’Internet.”
La mobilisation semble tout de même apporter du changement, tant sur le plan politique - avec la proposition de loi de Danièle Obono, que sur le plan social. Le Collectif espère pouvoir continuer les discussions avec le service public afin de mettre en place un partenariat entre la CNAV et les associations pour pouvoir faire remonter les dossiers les plus urgents plus facilement.
Propos reccueillis par Laetitia Commanay