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Mémoire et transmission : “A Mansourah tu nous a séparés”

Publié le 19 décembre 2024

Pendant la guerre d’Algérie, plus de 2 millions d’Algérien·nes ont été déplacé·es par l’armée française et regroupé·es dans des camps. Une tragédie largement occultée, pourtant essentielle à la compréhension de l’histoire de l’Algérie.

Le documentaire s’adresse “à tous ceux qui ne connaissent que le silence de leur histoire”. Avec A Mansourah tu nous a séparés, Dorothée-Myriam Kellou brise ce silence en collectant, aux côtés de son père Malek, les fragments d’une mémoire collective et intime.

Dans le quartier de la Goutte d’Or, où se croisent des histoires d’immigration profondément liées à l’histoire coloniale, ce film, diffusé à la Bibliothèque de la Goutte d’Or à l’occasion du mois du documentaire, résonne particulièrement. Il questionne la transmission de ces récits et leur écho dans des lieux où le passé colonial continue de structurer le présent.

“On collectionne les oublis”

Malek Kellou a grandi à Mansourah, un de ces villages devenus camp de regroupement pendant la guerre, en 1954. De son village entouré de barbelés électrifiés, surveillé par l’armée, de la destruction de maisons, de son foyer partagé avec quatre familles, de la promiscuité et de la sous-nutrition, Malek n’en a jamais parlé à ses filles.

Ce n’est qu’à 27 ans que Dorothée entend parler pour la première fois des camps de regroupements, de cette politique de déplacements forcés de civil·es qui constitue l’une des plus massives du XXème siècle.

Ce n’est seulement que quarante ans après son départ, que Malek Kellou retourne dans son village natal aux côtés de sa fille. “Avec l’exil, je voulais oublier”, confie-t-il. Entre souvenirs enfouis et réminiscences, le documentaire raconte le retour à ces terres d’enfance, et explore les cicatrices inhérentes à l’exil et à la guerre.

En faisant ses recherches, Dorothée se heurte à tous les silences qui structurent les histoires personnelles et politiques. Cette partie de l’histoire passée sous silence, à différentes échelles. Silence politique, médiatique, silence d’une guerre qui n’a pas su dire son nom pendant bien trop longtemps. Silence personnel, silence trop bruyant, silence traumatisant. Silence qui mène à l’oubli.

“On collectionne les oublis”, dit Dorothée.

Dans cette Histoire, l’oubli a deux visages : personnel et politique. Dans le documentaire, peu à peu le cadre s’élargit. Ce qui pourrait ne raconter qu’une histoire familiale et intime est en réalité bien plus que ça. A travers l’histoire personnelle de Malek Kellou, le documentaire ouvre une réflexion plus profonde sur les enjeux de mémoire et de transmission. La dimension est historique, politique.

De la transmission familiale à l’Histoire collective

En acceptant de se confronter à son histoire et à sa mémoire, Malek Kellou le fait pour ses filles en leur adressant un projet de scénario intitulé “Lettre à mes filles”.

Le documentaire naît donc de cette volonté, et permet par la suite, selon les propos de Dorothée-Myriam, “d’explorer notre histoire et de la partager avec d’autres qui, comme moi, cherchent une histoire qui n’est pas dite”.

“J’ai transmis cette envie de se battre à Dorothée”, nous explique Malek Kellou, présent lors de la projection. Pour lui, la communication et la transmission sont l’affaire de réciprocité, “De père à fille et de fille à père”.

Dorothée explique également une partie de sa mission : “A partir de ces récits partagés, d’autres peuvent se situer.”

“Réparer l’oubli”

Une des idées principales qui émerge de ce documentaire et du parcours nécessaire pour y arriver, est l’importance de valoriser les supports de mémoire et de transmission.

Ici, la transmission prend une forme matérielle, par ce projet de film offert par Malek Kellou à ses filles. Mais lors des échanges qui ont suivi la projection, Malek souligne également l’importance de la transmission orale, centrale dans la culture algérienne comme dans tant d’autres. Dans le documentaire, une scène montre une vieille dame récitant des poèmes en arabe, témoins vivant·es de cette tradition.

C’est ainsi que A Mansourah tu nous a séparés met en évidence l’importance du partage, quel qu’il soit. Comme l’écrit Dorothée-Myriam dans son livre Nancy-Kabylie, “Le récit ancre. S’il manque, d’autres histoires s’inventent, des fictions dangereuses.”

Autant de supports qui sont autant de pas vers une réappropriation de cette mémoire occultée, une réparation de l’oubli. Comment, en effet, s’ancrer dans le monde sans mémoire de son histoire ?

Un article de Swane Farge

Sources :
Discussion avec Malek Kellou lors de la projection - 16 novembre 2024 à la Bibliothèque de la Goutte d’Or
Intervention de Dorothée-Myriam Kellou dans le cadre d’un cours de Master 1 à l’Institut Français de Presse
Nancy-Kabylie, Dorothée Myriam Kellou, 2019, Editions Grasset
Article National Geographic, “Les camps d’Algérie, dernier tabou de la guerre”, 29 février 2024




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