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Fatiha Ayoujil, psychologue : "aller dans la culture du patient"

Publié le 4 mars 2014

Fatiha Ayoujil travaille en tant que psychologue au sein de l’association Uraca : Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines. Elle nous explique comment s’articule son action avec les patients atteints de maladies chroniques et du VIH-SIDA.

C’est en arrivant à Uraca que je suis vraiment entrée au contact des cultures africaines. Avant, quand j’étais dans le secteur de la psychiatrie, c’était assez vaste. Des familles du Sri Lanka, d’Afrique subsaharienne, du Maghreb, d’Asie... mais l’apprentissage même des codes culturels d’Afrique subsaharienne c’est Uraca. Uraca, c’est un petit bout d’Afrique à Paris. Si vous entrez à l’accueil, vous allez voir que le cadre est tout à fait autre. On va baigner dans les cultures. Pour connaître une culture c’est une des meilleures écoles. Plutôt que de lire des bouquins à tout va, rien de mieux que d’aller à la rencontre des autres. On a beaucoup de personnes d’Afrique de l’Ouest : Mauritanie, Guinée, Mali, Sénégal, Côté d’Ivoire, un peu du Bénin, et on a aussi des personnes du Cameroun, du Tchad, du Togo.

Mon travail

J’ai plusieurs fonctions dans l’association. La première, c’est de participer aux consultations d’ethnopsychiatrie. On a un dispositif d’accompagnement pour les patients atteints de maladies chroniques, dont beaucoup de patients atteints du VIH SIDA. C’est un dispositif dirigé par le docteur Moussa Maman qui est médecin ethnopsychiatre, consultation à laquelle je participe en tant que psychologue avec des collègues médiateurs cliniciens. Ce dispositif a été créé pour accompagner les personnes qui ont des difficultés dans la prise en charge de leur maladie. Il s’agit de personnes qui n’acceptent pas, ou entendent le diagnostic du médecin mais n’en tiennent pas forcément compte.

L’ethnopsychiatrie, c’est une discipline qui tient compte à la fois de la psychanalyse et de l’anthropologie. Dans notre dispositif il y a une spécificité, on peut parfois basculer du côté de l’ethnomédecine. Les patients vont parfois nous parler des recherches traditionnelles qu’ils vont faire. Parfois ils n’en parlent pas non plus au médecin. Le médecin leur explique quelle maladie ils ont, comment fonctionne la maladie, le virus dans le sang, les antiviraux etc. Mais le patient va parfois se lancer dans une autre recherche, à savoir « pourquoi je suis malade Pourquoi maintenant ? Je suis venu ici peut être pour travailler, aider la famille au pays, et voilà que j’arrive ici et que je découvre que j’ai une maladie. » Et donc ils vont être dans des recherches de ce qu’on appelle les étiologies traditionnelles.

Mais ça peut aller plus loin. Ils peuvent par exemple s’inscrire dans la médecine traditionnelle. Aller voir des guérisseurs ou des personnes qui se prétendent guérisseurs ici à paris... Quand vous sortez du métro Château Rouge, on vous donne des petits papiers et parfois on entend même parler d’un guérisseur qui guérit le sida. Beaucoup de patients vont là-bas, perdent beaucoup d’argent, et ne prennent pas le traitement du médecin... ou alors vont prendre le traitement du médecin mais en même temps prennent des plantes qui peuvent inhiber le traitement médical.

Ce qu’on essaie de faire avec les patients c’est de pouvoir communiquer avec les médecins, et notamment impliquer les médecins ou les soignants dans la prise en charge. Et très souvent les soignants vont accompagner le patient à la consultation, et vont pouvoir entendre ces choses-là. Dans cet espace de consultation on essaie toujours de négocier les choses. On ne va pas dire à un patient « c’est pas bien, il faut pas rechercher... » s’il en a besoin c’est que ça a du sens pour lui, par contre ce qu’on essaie de négocier c’est peut être, si il a besoin de traitement traditionnel, qu’il le prenne autrement. Éviter, par exemple, d’ingérer des traitements traditionnels quand on ne connaît pas l’interaction qu’il peut y avoir avec les traitements du médecin. Ici tout tourne autour de cette articulation entre la médecine occidentale et puis le parcours du patient. Pour pouvoir l’accompagner lui, à prendre sa place ici, à pouvoir parler de ces choses là et pouvoir créer un lien de confiance avec le médecin.

Ça dépend aussi de l’attitude des soignants, ça les patients le voient très rapidement. Il y a des soignants avec qui ils sont à l’aise, avec qui ils peuvent parler de ces choses là, et d’autres où le médecin ne s’occupe que des médicaments ou du traitement médical. Après, ce dispositif-là est toujours complémentaire. La consultation ethnopsy se met en place sur une durée déterminée. Il ne s’agit pas d’un suivi sur 10 ans ou autre. La moyenne des accompagnements est d’un an et demi à peu près. Les consultations n’ont pas lieu toutes les semaines, plutôt une fois tous les un mois et demi. Et en parallèle de ça il y a aussi un suivi clinique où là c’est moi qui vais recevoir les personnes et qui vais les accompagner en psychothérapie, mais en prenant en compte la dimension culturelle.

Le modèle URACA

Uraca, c’est un modèle qui a été en construction puisque l’association, à sa création, avait commencé à mettre en place des projets pour répondre aux besoins des personnes qui arrivaient ici en France, dans les difficultés qu’ils rencontraient. Au tout départ c’était autour de la toxicomanie. Et puis très rapidement avec le Sida... à l’époque quand on annonçait un diagnostic c’était aussi un diagnostic de fin de vie, les gens mourraient au bout de quelques mois.

C’est de là que petit à petit cette consultation s’est mise en place. Parce qu’il y avait d’un côté les soignants qui étaient dans une situation d’impuissance, ils recevaient des patients qui étaient mourants, et de l’autre côté la communauté qui s’interrogeait sur cette maladie qu’ils découvrent en arrivant ici donc il y avait une méfiance de part et d’autre. D’un côté on ne sait pas comment aider et de l’autre côté on se méfie parce que peut-être qu’ils nous donnent aussi d’autres maladies. C’est comme ça qu’est né cet espace de consultation.

La plus-value c’est vraiment l’aspect culturel : aller dans la culture du patient pour comprendre le fonctionnement, l’accompagner dans les réflexions qu’il va avoir sur le diagnostic, la question de la culpabilité aussi parce que … c’est vrai que dans les consultations ethnopsy classiques, on reçoit le patient et sa famille. Mais ici comment peut-on recevoir le patient, atteint du SIDA avec sa famille ? La famille très souvent n’est pas au courant. Donc il y a cet isolement choisi du patient, pour pouvoir ne pas être exclu de son groupe. Le risque de rejet est réel. Parfois il nous arrive même de voir des patients qui ont un membre de la famille qui travaillent dans le secteur hospitalier et qui réagit mal à l’annonce du diagnostic. Encore aujourd’hui c’est une maladie qui est très stigmatisante.

Dans cet accompagnement, on va essayer petit à petit de l’accompagner par rapport à la culpabilité, la question de la faute, la mise en échec du projet migratoire. Comment peut-on travailler, aider, quand on est malade, qu’on dont faire attention à sa santé ? Parfois il va y avoir des difficultés sur l’observance même qui va faire que les patients vont avoir des maladies opportunistes, vont être gravement malades, hospitalisés... et ça met même parfois en jeu leur espérance de vie, puisque petit à petit les soignants peuvent se poser la question de la pertinence de soigner quelqu’un qui ne prend pas le traitement et qui devient résistant aux anti rétroviraux. C’est un peu tout ça l’enjeu de l’espace de consultation.

Paroles de femmes

A Uraca, on prend aussi en compte de manière globale la situation de la personne. On a d’autres actions dans l’accompagnement des personnes, dont un espace de parole : paroles de femme. Je le met en place tous les mardis de 11h30 à 13h. C’est un espace qui est ouvert aux femmes, peu importe la pathologie, si on a une pathologie ou pas... où petit à petit j’essaie d’accompagner les participantes dans la création d’un nouveau groupe. Pour la plupart elles arrivent ici, elles ont migré seules, elles ont parfois laissé le mari au pays, des enfants, elles se retrouvent ici un peu isolées. Elles ne parlent pas de leur état de santé aux membres de la communauté, de leur famille à elle, donc se trouvent isolées. Ce que j’essaie de faire c’est que petit à petit elles créent des liens entre elles pour qu’elles deviennent des soutiens les unes pour les autres. Notamment avec la question de la solidarité, de la maternité... en ce moment on a beaucoup de jeunes mères. Les anciennes du groupe vont pouvoir essayer de soutenir les jeunes mères, de les accompagner dans leur compétence de mère, dans les pratiques de maternage du bébé aussi. Il y a ces petites choses qu’on essaie de faire pour qu’elles trouvent leur place. Au début quand elles arrivent il y a beaucoup de choses qu’elles ne connaissent pas, elles se retrouvent isolées. Et nous, en travaillant sur l’estime de soi par exemple, on va essayer des les aider à réaliser des projets, demander de l’aide, savoir ce qu’est un psy... et qu’elles même deviennent actrices de leur propre vie et de leur santé. Ce qui est très bien, c’est qu’elles connaissent aussi beaucoup de choses que nous on ignore. On est ici à la Goutte d’Or mais elles sont parfois hébergées dans des hôtels en banlieue où il y a d’autres choses, et donc en créant du lien elles s’entraident. Elles peuvent aussi se revoir en dehors de l’association.

Visites à l’hôpital

Uraca a créé une action en 1997 qui est le soutien communautaire aux patients hospitalisés. Deux fois par semaine, les équipes d’Uraca vont à la rencontre des patients à l’hôpital. On a construit cette action en voyant un peu comment on fait au pays. Au pays, quand quelqu’un est malade on va le voir, on mange avec, on dort avec... toute la famille est avec lui. Ici les personnes sont isolées et ne voient que les soignants pendant un mois, deux mois, six mois d’hospitalisation. Donc avec cette action on a pu créer un espace intermédiaire. Quand on rend visite au patient avec un plat traditionnel qui est préparé à Uraca je jour même, on arrive avec un objet qui est culturellement connu. Il y a tout de suite une autre ambiance qui se crée et on va mettre en place des petits entretiens de soutien pendant l’hospitalisation. Ça permet aussi aux patients de savoir qu’il y a un lieu où ils peuvent venir. Uraca c’est un peu comme une 2ème maison pas besoin d’appeler, de demander si on peut passer, les personnes sont les bienvenues. Pour les hommes c’est du lundi au vendredi, pour les femmes c’est du lundi au samedi. Samedi, l’association est ouverte seulement pour les femmes. Ça leur permet d’avoir cette information là, qu’il y a un lieu où ils peuvent aller. Il y a aussi d’autres types d’accompagnement, que ce soit social, l’apprentissage de l’informatique, la consultation ethnopsy... il y a tout un tas de dispositifs dont les patients peuvent se saisir. A l’hôpital, c’est nous qui allons à leur rencontre. Mais avec l’accord des soignants. Les services hospitaliers nous orientent vers les personnes qui ont besoin de soutien.

En une après midi dans un hôpital on peut voir 16 patients. C’est beaucoup. Il y a des périodes dans l’année où c’est encore plus nécessaire. Par exemple à Noël il y a moins de soignants dans les services. Parfois l’été aussi. Ce sont des périodes où nous devons être encore plus mobilisés pour aller à la rencontre de ces patients isolés. On intervient dans les hôpitaux Bichat, Tenon, Saint Louis et Jaurès. Mais on peut aussi intervenir dans d’autres lieux en fonction de la faisabilité.

L’équipe mobile éducation thérapeutique

C’est un autre projet, toujours pour les patients atteints du VIH et de maladies chroniques. Moi psychologue et un collègue médiateur on intervient dans les hôpitaux de l’AP-HP à la demande des soignants, notamment au moment de l’annonce des diagnostics. Il y a certaines manières d’annoncer. Parfois il faut vraiment prendre en compte le choix des mots. Une annonce qui est mal faite, c’est un patient qui disparaît et qui revient au stade Sida. On a déjà vu plusieurs situations de cet ordre là, et donc les soignants peuvent faire appel à nous pour l’annonce de diagnostic, pour accompagner le patient dans la compréhension de ce qu’il a. On intervient aussi quand un patient n’est pas observant : quand il revient à l’hôpital avec des infections opportunistes, que les soignants n’arrivent pas à trouver le levier pour l’aider à se reprendre en charge.



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