Arthur et Valentine ont rencontré deux Algériens qui parlent de leur parcours avant d’arriver à la Goutte d’Or.
Arthur et Valentine sont de jeunes parents installés à la Goutte d’Or. Accompagnés de Cézanne, 6 mois, ils partent à la rencontre d’autres habitants du quartier pour faire leur connaissance, en discutant sur un ton décontracté mais curieux. Donc si vous les croisez un samedi matin, magnéto en main, n’hésitez pas à aller vers eux. Pourquoi « Échos de l’Univers » ? Parce que leur première interview s’est passée au bar de l’Hôtel de l’Univers et qu’ils considèrent que c’est un joli clin d’œil au multiculturalisme d’un quartier dont ils sont fiers.
Ce mois-ci, ils ont rencontré Ibrahim et Ibrahim, deux Algériens qui parlent de leur parcours avant d’arriver à la Goutte d’Or.
Samedi 26 septembre, 11h. Après plusieurs échecs rencontrés dans des commerces dans lesquels les employés ne se sentent pas légitimes pour répondre à nos questions – ils préféreraient que ce soit le patron qui réponde – nous entamons une discussion avec nos voisins de table dans le Café-Hôtel de l’Univers, rue des Poissonniers, qui finiront par accepter de se prêter au jeu de l’interview.
Ibrahim et Ibrahim sont deux Algériens âgés de 23 et 33 ans. Dix ans les séparent mais ils partagent pourtant une destinée proche. On sent qu’ils comprennent toutes nos questions, bien que leur français soit peu précis. Outre l’arabe, ils parlent le grec ou l’anglais, parfaitement.
Le plus âgé, cheveux bouclés mi-longs coiffés d’un bandeau, l’œil malicieux, a quitté le pays il y a dix ans pour s’envoler vers d’autres contrées, comme près de ces 150.000 Algériens chaque année. L’Algérie est un pays très riche. Son PIB est équivalent à celui de pays comme le Danemark grâce à ses ressources en gaz et en pétrole. Pourtant, le taux de chômage y est particulièrement élevé. Estimé actuellement à 12%, certains experts considèrent que chez les jeunes ce taux grimpe jusqu’à 30 voire 40%. Comme beaucoup de ses compatriotes, Ibrahim rêvait de rejoindre l’eldorado européen, via la Turquie, réputée très tolérante pour octroyer des visas.
C’est un peu au hasard qu’Ibrahim a rallié la Grèce, où il restera 7 ans et apprendra à parler le grec. Vivant de petits boulots à la ferme, où il travaille dans des oliveraies, il quitte toutefois le sud de l’Europe à cause du racisme qui ne cesse de croître, comme en témoignent d’ailleurs les résultats du parti politique l’Aube Dorée, porteur de valeurs xénophobes. Alors qu’en 2009 il n’a obtenu que 0,46% de votes, le parti extrémiste bondit à 5% en 2010 [1]. En 2014, le parti obtient même jusqu’à 16% des voies des Athéniens, résultante de ces temps de crise où nombreux sont ceux qui cherchent des responsables du côté des immigrés.
Ibrahim se sent contraint de quitter la Grèce. Il rejoint alors ses frères Parisiens, résidents de la Goutte d’Or, chez qui il trouve refuge. Ibrahim y vit maintenant depuis un mois mais ne parvient pas à obtenir des papiers, et donc de travail, et donc de logement, un cercle vicieux.
Le plus jeune Ibrahim, casquette vissée sur la tête et Nike clinquantes aux pieds, le sourire éclatant et sincère, a 23 ans. Lui a quitté son Algérie natale il y a seulement trois ans, également par manque de perspectives professionnelles. Et depuis ce temps, ses semelles de vent le transportent de pays en pays au gré des contrôles policiers et des opportunités. C’est fièrement qu’il nous raconte ses aventures tout en remontant son jean jusqu’au genou où brille une énorme cicatrice, séquelle d’une cascade alors qu’il essayait d’attraper un train déjà en marche. Photos à l’appui, il tente désespérément de charger son profil Facebook pour nous montrer quelques images de ses péripéties. Sa gaieté et son insouciance impressionnent. Ne pas savoir où il sera demain,devoir peut-être reprendre le train ou risquer de se faire pincer par la police n’ont absolument pas l’air de l’inquiéter.
Ibrahim a également atterri en Île-de-France pour reprendre quelques forces auprès de son père. Il habite à Rosny-Sous-Bois mais vient tous les jours à la Goutte d’Or pour retrouver la communauté et tenter de dégotter des petits boulots, rencontrer des amis, boire des cafés, vivre quoi. Malgré l’embourgeoisement de la Goutte d’Or, le quartier reste multiculturel (34% d’étrangers au recensement 2006 [2]) et continue d’être le lieu de rendez-vous privilégié d’un ensemble de communautés étrangères vivant dans la région francilienne.
Une surprise nous attend alors que nous abordons le sujet de la politique en matière d’immigration. Nos deux Ibrahim, de façon très spontanée, affirment avec conviction que la politique française, c’était mieux du temps de Sarkozy et que les immigrés y étaient alors mieux accueillis. Nous ne parvenons toutefois pas à obtenir plus de détail sur cette impression commune de nos interlocuteurs, peut-être du fait de la barrière de la langue. Si le nombre d’expulsions n’aurait pas vraiment diminué depuis 2012, faisant de la France un des pays les moins accueillants de l’OCDE par rapport à sa population, il convient toutefois de noter que le gouvernement Valls a mis en œuvre certaines actions favorables à l’intégration des immigrés comme le démantèlement de réseaux clandestins, la fin du délit de solidarité mis en place dans la circulaire Guéant ou encore la mise en place de la circulaire Valls qui précise les conditions de régularisation des sans-papiers et qui a entraîné une hausse de régularisations de près de 50% en 2013 [3] .
Arthur et Valentine