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Rencontre avec Monique Dental

Publié le 8 mars 2024

A l’occasion du 8 mars, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, nous avons rencontré Monique Dental, militante féministe engagée, résidant dans le quartier de la Goutte d’Or, fondatrice du Réseau Féministe "Ruptures"et autrice du livre " Ruptures ... et féminisme en devenir "(Editions Alternatives, 1984) et « De Mai 68 au Mouvement de Libération des femmes (MLF), éditions du Croquant, 2022. Un entretien riche dont nous restituons quelques moments choisis.

Ainée d’une famille ouvrière, Monique Dental commence à travailler très jeune, à l’âge de 14 ans et demi à une époque où l’école n’était pas encore obligatoire jusqu’à 16 ans. En parallèle, elle suit des cours du soir à la Mairie du 11è à Paris pour passer le baccalauréat d’abord, puis le concours d’inspectrice du travail (beaucoup de militant.e.s de gauche et d’extrême gauche à cette époque considéraient qu’il fallait pénétrer le monde des inspecteur.ice.s pour combattre les injustices ayant lieu dans le monde du travail : pas de lois pour protéger les travailleurs.es ni protection des syndicalistes. Ses premiers pas de militante féministe se produisent en Mai 68, lors de l’occupation de la Sorbonne, où elle pose ses congés annuels pour militer avec les jeunes étudiant.e.s. Elle participe alors au forum Les femmes et la révolution : « J’ai senti qu’elles (les féministes) disaient tout haut ce que je pensais tout bas depuis très longtemps, j’ai pris conscience de l’importance de la lutte collective à partir de la conscience de l’oppression de sexe ». Le terme d’« oppression » était repris des luttes anticolonialistes du fait des similitudes existant entre ces luttes. L’infériorisation des femmes, à l’instar des étrangers et des immigrés, était maintenue par des idées préconçues selon lesquelles « leur cerveau serait plus petit que celui des hommes » et était la preuve d’une signe d’infériorité ; de ce fait à travers elles étaient perçues comme « des êtres fragiles qu’il faut protéger » sous couvert qu’elles mourraient en couche (alors que la cause de leur mort la plupart du temps étaient due aux infections bactériennes issues d’un manque de précaution hygiénique des accoucheurs qui « passaient d’une femme à une autre ») mais les médecins se sont intéressés à cela bien plus tard en faisant des observations comparatives entre plusieurs établissements. [1]

« le capitalisme a besoin du patriarcat et le patriarcat est renforcé par le capitalisme »

Lorsqu’un regroupement des groupes féministes existant se constitue à l’issue de l’occupation de la Sorbonne, il en exclue les partis politiques et les syndicats qui reflètent les positions de la société patriarcale et refuse de remettre en cause leurs privilèges masculins. Par exemple, un syndicat en Belgique a licencié des femmes du fait qu’elles réclamaient un salaire égal à celui des hommes… « le capitalisme a besoin du patriarcat et le patriarcat est renforcé par le capitalisme aussi : il y a deux systèmes qui se cumulent pour dominer les femmes. ». Monique pointe également leur refus pendant plusieurs années de reconnaître les violences de membres de partis politiques et syndicats qui défendent plutôt des agresseurs dans leur propre intérêt et font passer en priorité des causes qu’ils estiment plus importantes que l’émancipation des femmes. Ils ne peuvent pas dénoncer des actes de violence sous peine de perdre le soutien des hommes, au motif qu’ils risqueraient de ne pas voter pour eux aux prochaines élections. La leçon à tirer aujourd’hui de ces années de luttes pour l’émancipation des femmes est qu’en matière de droit des femmes, ce n’est jamais acquis définitivement : « Les droits si on ne se bat pas pour, ils régressent. »

Au milieu des années mi-1980, une réflexion s’engage autour de comment communiquer avec les syndicats. Monique fait partie de celles qui souhaitent privilégier les revendications féministes en première instance. Une stratégie qui n’est pas partagée par toutes les féministes à l’époque. Des désaccords ont divisé la Coordination des groupes femmes de quartiers et d’entreprises, (voir le livre « Ruptures » et féminisme en devenir, Éditions Alternatives, 1984) et des groupes se retirent de la Coordination pour créer un groupe La Nébuleuse dont émanera le Collectif Féministe « Ruptures ». Ses oppositions n’empêcheront pas les féministes dans leur ensemble de se retrouver dans la rue pour lutter sur leurs revendications communes.

"Les droits ne sont jamais véritablement acquis"

"Le droit à l’avortement inscrit dans la Constitution, devient un droit inaliénable mais la question est celle des moyens donnés pour de son application afin de permette véritablement aux femmes d’avorter, puisque le problème qui demeure actuellement ce sont les moyens. Dans la période que nous vivons du système capitaliste mondialisé, la politique gouvernementale en fermant les hôpitaux et les services publiques, a touché aux maternités, ce qui a conduit à la fermeture de centres d’IVG, sans compter la situation pas facile pour une femme qui vient se faire avorter, et à côté d’elle, il y a une femme qui accouche. A partir du moment où l’on réorganise le système hospitalier dans toute la France en diminuant le nombre d’hôpitaux, par ricochet on touche aux centres d’IVG qu’ils contenaient et en mettant des distances incroyables pour que les femmes aillent avorter ; sans compter qu’il y a beaucoup moins de médecins qui exercent cette pratique, les délais pour avorter sont très longs et les femmes se retrouvent malgré elles hors délais et obligées d’aller avorter en Angleterre ou en Espagne. La constitutionalisation de l’IVG est un acte symbolique fort qui le consolide, mais l’octroi des moyens à l’heure actuelle est tout aussi important pour lui donner corps afin de ne pas demeurer un acte symbolique de références aux valeurs que stipulent la Constitution française.

"#MeToo n’a pas éclos comme ça"

Après la loi autorisant l’IVG, grâce aux luttes des féministes dans la société, pendant 20 ans, il y a eu moins de luttes pour obtenir des droits, les féministes se sont alors reposées sur leurs acquis ; nous avons réfléchi et travaillé aux prochaines revendications. Des discussions ont émergé au sein des assemblées générales et des coordinations féministes. Parallèlement, on observait dans les permanences d’accueil des femmes et dans les groupes de parole féministes, que revenait toujours comme question essentielle celle des violences subies par les femmes. Un grand nombre d’entre elles déclaraient avoir vécu des violences qu’elles soient intrafamiliales, ou dans l’enfance, et de toutes sortes. Cette situation est devenue le nouvel enjeu des luttes féministes :"#MeToo n’a pas éclos comme ça, il est le prolongement d’une situation antérieure déjà explorée de dénonciations des violences."

A travers le Réseau Féministe « Ruptures » qui est une association universaliste, laïque et paritaire qui agit au niveau national, européen et international et organisé en autogestion, nous travaillons en lien avec d’autres associations féministes de différents courants et tendances (le collectif et des associations généralistes sur les questions d’actualité et de société, mais à partir d’un point de vue féministe. C’est ce qui compte pour pouvoir avancer. Monique rappelle que c’est aussi une prise de position politique « Pas de changement social sans émancipation des femmes ».

« L’émancipation des femmes c’est une question politique, ce n’est pas une question sociale, les luttes du MLF ont démontré que « le privé est politique » ce n’est donc pas seulement un plus qu’on met à la suite d’une liste de revendications de droits sociaux. C’est une vision du monde, une philosophie et si celle-ci n’est pas prise en considération à ce titre, on ne peut pas changer la société ».

L’Appel au 8 Mars : Grève féministe ! Cette année est une étape d’appel dans les liens entre les organisations féministes et les organisations syndicales, à travers leurs commissions femmes, On Arrête Toutes ! est le prolongement du travail sur l’égalité professionnelle des femmes.

[1] Le 13 et 14 mars le Réseau Féministe « Ruptures » participera également aux Etats généraux du travail et de la santé des travailleurs et des travailleuses au cours desquels des ateliers féministes « Femmes et Santé au travail » développeront les dernières approches et positions sur ces thèmes, en partenariat avec des organisations syndicales et associatives. C’est le prolongement du travail poursuivi avec les syndicats sur les questions d’inégalités professionnelles que vivent les femmes au travail dont la revendication pour l’égalité des salaires est actuellement la plus prégnante. Elles auront lieu à la Bourse du Travail à Paris, 29 boulevard du Temple.



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